Le droit de la famille est un marqueur sociétal de premier ordre : jusqu’en 1999, la Cour de cassation ne concevait le concubinage qu’entre un homme et une femme. Aujourd’hui, le mariage pour tous ne fait plus débat. Jusqu’en 1975, divorcer à l’amiable n’était pas possible. Aujourd’hui, il se fait sans juge, et peut-être un jour sans intervenant externe, comme une rupture de PACS.
La marche vers l’égalité entre femmes et hommes peut également faire l’objet d’une longue chronologie législative, et c’est dans sa continuité que, peut-être, est aujourd’hui envisagée une systématisation de la résidence alternée (encore souvent appelée « garde alternée ») à la suite du divorce ou de la séparation d’un couple non marié. Sauf que cette fois, ce sont les hommes qui se disent discriminés, et qui revendiquent l’égalité.
En 1970, la puissance paternelle fut remplacée par l’autorité parentale, en même temps que disparaissait la puissance maritale. Hors mariage, cette autorité parentale fut tantôt exercée par la seule mère, tantôt par celui qui reconnaissait l’enfant en premier, avant que la règle ne se stabilise sur la base d’un exercice conjoint. En 2005, les notions d’enfant naturel et d’enfant légitime furent même abrogées, les relations parents-enfants ne dépendant plus d’un statut matrimonial ou d’un mode d’organisation de la vie commune.
Pourtant, la définition de l’autorité parentale n’a jamais cessé de faire débat, et son organisation, lorsque les parents sont séparés, est toujours source de conflits. Aux questions relatives à l’égalité des droits entre femmes et hommes et entre mères et pères se greffa celle du droit à l’enfant (et non seulement de l’enfant), comme l’illustrèrent les tensions autour de l’adoption pour tous, de la procréation médicalement assistée (PMA), voire de la gestion pour autrui (GPA).
Appliquée aux relations parents-enfants, l’égalité (ou l’égalitarisme ?) susmentionnée ne pouvait se satisfaire d’un exercice commun de l’autorité parentale. Des associations comme SOS Papa n’ont cessé de militer en faveur de la résidence alternée, voire du maintien consenti ou forcé de la coparentalité à l’issue du divorce ou de la rupture du couple, ce qui s’était traduit en 2002 par la possibilité pour le juge d’ordonner la résidence alternée, même sans l’accord des parents. Mais, forts d’avis bien choisis de spécialistes de l’enfance, ces associations et plus généralement les pères divorcés ou séparés demandent que cette résidence alternée devienne la règle, ce qui pourrait se traduire par une nouvelle réforme de l’autorité parentale en 2018. Il est même question de privilégier sinon de systématiser la « résidence commune », en se drapant dans l’illusion d’un couple toujours uni, de parents vivant ensemble ou du moins très proches l’un de l’autre, d’un divorce ou d’une rupture qui n’affecterait pas les enfants.
Les tenants d’une pareille réforme se fondent sur des enquêtes ou avis indiquant qu’un enfant a autant besoin de son père que de sa mère et qu’en cas de rupture, son intérêt est de passer autant de temps avec l’un qu’avec l’autre. Pourtant, pour légitime que puisse être cet objectif, il ne correspond que rarement à la réalité familiale « normale », hors rupture.
Comme l’expliquait Serge Bornstein, neuropsychiatre et expert honoraire près la Cour de cassation, la résidence alternée ne devrait être envisagée que si les domiciles des parents ne sont pas éloignés, afin que l’enfant ait un « repérage domiciliaire unique ». Transbahuter un enfant comme un meuble, le faire changer de domicile chaque jour, chaque semaine ou chaque mois, est souvent la plus déstabilisante et nuisible des formes d’organisation de la coparentalité.
Des associations féministes ont fait remarquer que la généralisation de la résidence alternée serait dangereuse pour les femmes victimes de la violence de leur ex-conjoint ou compagnon. Mais cet argument parait également critiquable, car il conduirait à adapter l’organisation des relations entre enfants et parents séparés à une situation qui, fort heureusement, n’ait pas celle de la majorité et encore moins de la totalité des couples séparés. En revanche, il est indispensable que le juge puisse apporter, le cas échéant, une réponse spécifique à la violence, ce que la loi permet déjà, avec une efficacité qui n’est sans doute pas à la hauteur de la gravité du problème.
Les arguments avancés par les uns et par les autres relèvent parfois du dogme, en particulier celui de l’égalitarisme absolu au nom de la non-discrimination. Ce n’est pas alors l’intérêt de l’enfant qui guide les parents, mais leur droit sur leur chose qu’est l’enfant. Les pères doivent avoir les mêmes droits que les mères, proclament les associations les plus virulentes. Et si on leur répond que chaque cas est un cas d’espèce et qu’il faut laisser le juge décider de la moins mauvaise solution en fonction de l’intérêt de l’enfant, des impératifs en présence et plus globalement, du contexte, ils crient à la discrimination, à la partialité des juges aux affaires familiales, majoritairement des femmes, et clament que l’enfant a besoin de ses deux parents. Mais pas à n’importe quel prix, dans n’importe quelles situations et pour tous les couples. Sinon, autant interdire le divorce et la séparation des parents ayant des enfants !
Actuellement, le juge peut imposer la résidence alternée. En outre, d’un commun accord, les parents ont toujours la possibilité de s’organiser comme bon leur semble, même si dans un un divorce, le juge doit s’assurer que l’enfant « capable de discernement » a été avisé de la possibilité d’être entendu par lui.
Certes, ce n’est pas à l’enfant de déterminer les modalités de l’exercice de l’autorité parentale, mais s’agissant tout particulièrement d’une possible résidence alternée, sa parole peut infléchir la décision du juge.
Modifier la loi en encourageant la résidence alternée pour favoriser le maintien d’une coparentalité de fait et de droit, cela peut s’entendre. Réduire les pouvoirs du juge pour en faire la règle, même si des exceptions demeurent possibles, conduirait à rigidifier le droit de la famille qui doit pourtant être souple pour s’adapter aux innombrables situations que le juge doit trancher, dans l’intérêt de l’enfant avant même celui de ses parents.
Raymond Taube
Directeur de l'IDP
Formation & conseil