Vous trouverez en deux clics de souris d’innombrables commentaires et descriptifs juridiques des innovations de la procédure prud’homale. Je les aborde ici dans la perspective plus générale de la professionnalisation, et peut-être un jour de l’automatisation de de la justice.
Tout se professionnalise, sauf (ou si peu) les juges du conseil de prud’hommes (CPH)
Entrés en vigueur le 1er août 2016, au cœur de l’été, les bouleversements apportés à la procédure prud’homale par la loi Macron et le décret du 20 mai 2016 ont même surpris les professionnels : non, la présence des parties à l’audience n’est plus obligatoire dès lors qu’elles sont représentées par un avocat, un défenseur syndical, voire certains proches. Oui, il faut désormais saisir le CPH au moyen d’une requête en bonne et due forme, accompagnée de ses pièces et d’un bordereau listant lesdites pièces. L’époque où il suffisait de remplir un formulaire est donc révolue. Néanmoins, la saisine par présentation volontaire des parties reste possible, mais les hypothèses où employeurs et salariés viendraient ensemble demander à être jugés ne doivent pas être très nombreuses ! La procédure se professionnalise, d’autant plus que le défaut de mentions légales sur la requête est sanctionné de nullité. La suite de la procédure sera également écrite si les parties ont un avocat.
Reste les juges eux-mêmes, qui avant d’entamer leur mandat, peuvent bénéficier d’une formation de six semaines. On peut se réjouir de ce que les employeurs et salariés qui composent le CPH connaissent la réalité de l’entreprise, contrairement à la plupart des magistrats professionnels. Mais la technicité du droit du travail, ajoutée maintenant à celle de la procédure prudhommale, laisse dubitatif sur le maintien de cette formule à long terme. Certes, un juge départiteur, désormais magistrat du TGI et non plus du tribunal d’instance, peut intervenir dans la procédure. Certes, les parties peuvent demander que le bureau des jugements soit présidé par un magistrat professionnel dans certains litiges. Mais la tendance à la professionnalisation de la justice pourrait, à terme, ne pas épargner les juridictions consulaires (conseil de prud’hommes et tribunal de commerce).
Vers une justice principalement écrite et « barèmisée »
D’autres juridictions où la procédure est encore en partie orale, comme le tribunal d’instance, pourraient à l’avenir basculer vers une procédure écrite, qui est déjà la règle au tribunal de grande instance. Il est vrai que les juges soulignent souvent l’inutilité de l’audience, qui génère de surcroit une perte de temps considérable : un avocat peut travailler trois heures sur un dossier, perdre une heure pour se rendre au tribunal, attendre deux heures que son affaire soit appelée (quand elle n’est pas renvoyée à une autre date !), plaider cinq minutes et retourner à son cabinet. Après l’audience, l’affaire est mise en délibéré à plusieurs semaines… ou mois, si bien que lorsqu’il rend sa décision, le juge a tout oublié de l’audience, et s’en remet à ses quelques notes et surtout, au dossier des parties.
Vous déplorez la déshumanisation de la justice, en l’espèce celle du travail ? Ce n’est qu’un début : comme en matière de pension alimentaire, la loi El Khomri a instauré un barème indicatif des indemnités de licenciement. Et comme en matière de pension, la tendance des juges est de l’appliquer et de s’en écarter qu’exceptionnellement. En droit de la famille, on envisage également une « barèmisation » des prestations compensatoires, et pourquoi pas des dommages et intérêts en matière de responsabilité civile… Même en matière pénale, en particulier au tribunal de police qui juge les contraventions, on a parfois le sentiment que les juges appliquent un « tarif ». Parallèlement, des expériences notamment menées au Etats Unis tendraient à montrer (restons au conditionnel) qu’un ordinateur gavé de lois et de jurisprudence rendrait des décisions plus crédibles que des juges en chair et en os. A quand l’audience sera-t-elle ouverte devant le juge D2R2 ? Comme l’intelligence artificielle dépasserait l’intelligence humaine d’ici une dizaine d’années, rien n’est impossible !
En attendant D2R2, Revenons-en à notre loi Macron et à ses effets sur la procédure prudhommale.
Une procédure accélérée (pour ceux qui le veulent bien !) en cas de rupture du contrat.
Après un passage devant feu le bureau de conciliation, devenu bureau de conciliation et d’orientation, les parties peuvent opter d’un commun accord pour une procédure accélérée devant une formation restreinte (un employeur et un salarié), qui devra trancher en trois mois. Cela concerne les licenciements et les demandes de résiliation judiciaire du contrat, soit un important contentieux. Ce délai semble impossible à respecter, quand on sait qu’il faut souvent plusieurs années pour obtenir une décision. En réalité, cette formation restreinte ne devrait pas être débordée, car rares sont les employeurs (très majoritairement en défense) qui acceptent de prendre le risque d’être condamnés en trois mois, alors qu’ils peuvent faire durer le plaisir dix fois plus longtemps.
Sous réserve d’interprétations jurisprudentielles contraires, la loi Macron a supprimé l’unicité d’instance qui avait cours devant le conseil de prud’hommes : si une des parties avait omis d’évoquer un aspect du litige, il était trop tard pour rouvrir les débats. La suppression de cette règle ne va pas dans le sens d’une accélération des procédures, et on a le sentiment que sauf volonté conjointe des parties, c’est l’effet inverse qui pourrait résulter de la réforme, sauf en ce qui concerne l’audience. En tant que citoyen-justiciable, jugeons sur pièces… à condition d’en avoir le temps. Une alternance politique en 2017 pourrait déboucher sur un bouleversement du droit du travail d’une bien autre dimension que les innovations issues des lois Macron et El Khomri.
Autres innovation: création du défenseur syndical, nouveau bureau de conciliation et d’orientation…
Pouvoir être défendu par un délégué syndical n’est pas nouveau. Désormais, le défenseur syndical aura un statut particulier et jouira de prérogatives visant à lui permettre d’exercer ses fonctions : autorisations d’absence, formation… et même possibilité de représenter le salarié devant la chambre sociale de la cour d’appel, où désormais, il n’est plus possible de comparaître seul.
Quant au bureau de conciliation et d’orientation, notons qu’il faut en général comparaître devant cette formation avant d’affronter le bureau des jugements, voire directement le juge départiteur (d’un commun accord entre les parties). Le bureau de conciliation et d’orientation fait également office de juge de la mise en état, comme devant le tribunal de grande instance. Il peut notamment enjoindre aux parties de conclure et prendre toutes mesures visant à ce que l’affaire soit en état d’être plaidée. Tout cela donne le sentiment que se défendre seul aux prud’hommes est devenu un exercice hautement périlleux, et que sauf à être assisté ou représenté par un défenseur syndical compétent, crédible et efficace, il vaut mieux s’en remettre à un avocat.