Le 13 décembre 2018, le conseil de prud’hommes de Troyes a déclaré que le plafonnement des indemnités de licenciement était contraire à l’article 24 de la Charte sociale européenne et à la Convention n° 158 de l’Organisation internationale du travail. Cette décision, bien qu’elle ne fasse pas l’unanimité, sonne-t-elle le glas d’un pilier de la réforme du Code du travail ?
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Comment est-il possible qu’un conseil de prud’hommes puisse ainsi balayer d’un revers de traité international une disposition si chère au candidat, puis au président Macron ? Le plafonnement des indemnités, même en cas de licenciement abusif, visait à soulager les entreprises de leur peur du procès qui tourne mal. Un seul salarié pouvait en effet se voir attribuer des indemnités de nature à compromettre la pérennité d’une petite entreprise. Le coût désormais supportable du licenciement était supposé encourager, du moins ne pas décourager, l’embauche. Un an après l’entrée en vigueur du texte, les résultats se font attendre. Il est vrai que c’est toujours le carnet de commandes qui rythme les intentions d’embauche, et qu’avec une croissance en berne, l’euphorie ne règne pas chez les entrepreneurs.
À peine l’équipe Macron avait-elle pris les commandes que les vaillants juristes du Conseil d’État se penchaient sur le bébé en gestation, assurant que sa naissance, puis sa croissance ne seraient entachées d’aucune vilaine malformation juridique, ce que confirma le Conseil constitutionnel après la mise bas. Pourtant, le challenge n’était pas sans risque juridique, car si une indemnisation peut être arbitrairement plafonnée, tel n’est pas le cas d’un préjudice. Imaginons un salarié-modèle congédié après trente ans de bons et loyaux services, parce que sa tête ne revenait pas à la nouvelle épouse du DRH ou du patron. Une image d’Épinal, bien évidemment. Grâce aux ordonnances travail, le patron s’en sort avec au maximum vingt mois de salaire pour un salarié ayant au moins trente ans d’ancienneté, du moins tant qu’il n’a pas porté atteinte à ce qui est considéré comme un de ses droits fondamentaux, qu’il ne l’a pas harcelé ou discriminé. Cette possibilité de passer outre le plafond visé à l’article L. 1235-3 du Code du travail devait assurer la solidité juridique de l’édifice. Sauf que dans notre hypothèse virtuelle, comme dans celle, bien réelle, du salarié ayant saisi le Conseil de prud’hommes de Troyes, elle ne peut s’appliquer.
Il y a fort à parier que l’affaire ira jusqu’à la Cour de cassation, qui dans un arrêt du 1er juillet 2008, avait jugé que les deux conventions internationales ici mobilisées par le Conseil de prud’hommes de Troyes pouvaient, sous certaines conditions que nous n’aborderons pas ici, être appliquées directement par le juge national. Et si la Cour de cassation devait en juger autrement dans cette affaire, un syndicat pourrait saisir le Comité européen des Droits sociaux (CEDS), pendant social de la Cour européenne des droits de l’homme (CEDH), chargé de veiller à la bonne application de la Charte sociale européenne. Contrairement à la Cour de justice de l’Union européenne, qui juge de l’application du traité de l’UE et des textes qui en découlent, ces deux institutions ne peuvent casser une décision nationale. Mais invalider le plafonnement des indemnisations prud’homales devrait logiquement conduire à l’abrogation de cette disposition. Dans cette hypothèse, nous en reviendrions à un barème indicatif et non obligatoire, déjà instauré par la loi El Khomri du 8 août 2016. Un mécanisme du même ordre existe déjà pour les pensions alimentaires, et l’on constate que le juge applique le barème dans la plupart des cas.