Lors de formations au bénéfice d’associations tutélaires, la question du secret professionnel revient régulièrement. S’il peut advenir qu’un mandataires judiciaires à la protection des majeurs (MJPM) hésite à se positionner face à une assistante sociale, un médecin, un avocat, ou tout autre professionnel astreint au secret, c’est surtout l’inverse que l'on constate : les interlocuteurs des MJPM ignorent souvent si ceux-ci sont astreints au secret professionnel ou à une autre forme d’obligation de discrétion ou de confidentialité.
Les MJPM ne sont pas expressément soumis au secret professionnel, du moins ne l’étaient-ils pas formellement avant la « loi santé » du 26 janvier 2016. Mais les obligations de confidentialité et de respect de l’intimité et de la vie privée, visées à l’article L311-3 du Code de l’action sociale et des familles (CASF), s’imposent à eux, l’article L312-1 du même code incluant « les services mettant en œuvre les mesures de protection des majeurs ordonnées par l'autorité judiciaire au titre du mandat spécial » à la liste des établissements sociaux et médico-sociaux. Pourtant, lorsque je pose aux MJPM la question « êtes-vous travailleurs sociaux ? », leurs réponses ne sont pas unanimes. Oui, non, un peu…
Les mandataires judiciaires à la protection des majeurs sont d’abord… des mandataires, en particulier dans la fonction de tuteur, où ils représentent le majeur protégé. Opposer au tuteur le secret professionnel revient à l’opposer à la personne qu’il représente. Ce serait absurde et préjudiciable au majeur protégé. Mais inversement, le mandataire n’a pas à raconter à ceux auxquels il n’a de compte à rendre que Monsieur ou Madame Untel est sous curatelle, tout comme un médecin n’a pas à raconter à ses voisins qu’il soigne l’arthrose du cordonnier du quartier. Pour le médecin, ce serait une violation du secret professionnel, passible de sanctions pénales et disciplinaires. Pour le mandataire, il parait difficile de le poursuivre pour la violation d’un secret auquel il n’est pas expressément soumis. D’ailleurs, cela ne s’est jamais produit, tout comme nous n’avons trouvé aucune condamnation pénale d’un assistant de service social pour violation du secret professionnel. Néanmoins, la responsabilité civile du service, donc de l’employeur, pourrait être engagée, avec en corollaire le licenciement du MJPM trop indiscret.
La loi du 26 janvier 2016 a-t-elle modifié la donne ? L’obligation de confidentialité se serait-elle transformée en secret professionnel dont la violation est théoriquement passible d’un an de prison ? L’article L1110-4 du Code de la santé publique (CSP) impose, en sus du respect de la vie privée, le « secret des informations concernant toute personne prise en charge…. » par les établissements et services médico-sociaux visés à l'article L312-1 du CASF, parmi lesquels figurent les associations tutélaires. Le même article L1110-4 du CSP précise que le secret couvre « l'ensemble des informations concernant la personne venues à la connaissance du professionnel, de tout membre du personnel de ces établissements, services ou organismes et de toute autre personne en relation, de par ses activités, avec ces établissements ou organismes. Il s'impose à tous les professionnels intervenant dans le système de santé ». En aucun cas, le secret professionnel, si tant est qu’il s’impose réellement aux MJPM, ne saurait leur interdire de représenter un majeur, a fortiori sous tutelle, et donc d’intervenir en ses lieu et place. D’ailleurs, ce ne sont pas les mandataires qui sont visés par les textes, mais les services. Doit-on en conclure que les mandataires privés ne sont pas concernés ? On peine à imaginer quelle logique pourrait justifier une telle conclusion.
Il faudra de longues années avant que ne se forme éventuellement une jurisprudence permettant de mesurer l’impact de la loi du 26 janvier 2016 sur les professionnels de la protection des majeurs. Mais comme indiqué plus haut, l’absence de toute condamnation de travailleurs sociaux, et à fortiori de tuteurs et curateurs pour violation du secret professionnel, nous amène à relativiser l’importance de la question. Si l’on ne partage des informations que dans l’intérêt du majeur protégé, à bon escient, en l’en informant lorsque cela est possible, le risque juridique est hypothétique, qu’il soit civil (violation de la confidentialité) ou pénal (violation du secret). Si l’on s’écarte de ce schéma, on risque d’avantage de se retrouver à Pôle Emploi qu’au tribunal correctionnel, hier comme aujourd’hui.
La loi du 26 janvier 2016 avait pour première objectif de réformer le système de santé. C’est dans ce cadre qu’il convient d’analyser son impact sur les services de protection des majeurs. Cette loi a entériné ce qui a toujours existé dans les faits : les professionnels de santé, en particulier les médecins et infirmiers hospitaliers, sont bien obligés de partager des informations avec les travailleurs sociaux, ne serait-ce que pour préparer la sortie du patient. Désormais, « l’équipe de soins », visée à l’article L1110-12 du CSP, inclut les travailleurs sociaux, parmi lesquels figurent les services exerçant des mandats de protection des majeurs. Le but du législateur n’était pas de soumettre expressément les MJPM au secret professionnel, quand bien même les juges pourraient à l’avenir en faire une autre lecture. Il était d’assurer, du moins de favoriser, la continuité de la prise en charge sanitaire ou sociale du patient, ce qui est impossible sans partage d’informations. Mais pas de toutes les informations, et pas n’importe comment. Dans l’intérêt du patient, des informations pertinentes et indispensables à la continuité de sa prise en charge peuvent être échangées entre l’hôpital et le service exerçant un mandat de protection, informations qui elles, sont couvertes par le secret professionnel. Tout ce qui ne participe pas à cette continuité de la prise en charge n’a pas vocation à être partagé.