Secret médical et obligations de signalement
Encore un article sur le secret professionnel et le signalement, me direz-vous ! Il est vrai que depuis la « loi santé » du 26 janvier 2016, nous sommes particulièrement sollicités par les établissements sanitaires pour former leurs agents, en particulier les travailleurs sociaux – plus rarement les médecins auxquels cet article est principalement destiné –, aux nouvelles règles du « secret partagé ». En effet, cette loi associe désormais une série de professions ou de fonctions au partage jusqu’alors réservé aux seuls professionnels de santé, partage qui du reste n’est pas global et total, mais limité à ce qui est strictement nécessaire à la poursuite de l’objectif commun : la continuité de la prise en charge sanitaire ou, désormais, sociale. Les modalités diffèrent selon que les informations relatives au patient se partagent à l’intérieur de l’établissement, entre professionnels de même catégorie, ou avec des intervenants externes. Pour l’essentiel, la différence se situe au niveau du consentement du patient, plus express et spécifique dans la seconde hypothèse (pour résumer grossièrement la situation).
Lors de mes interventions en hôpital, je mesure que ce partage, notamment entre médecins et travailleurs sociaux, ne se fait pas toujours dans la plus grande harmonie, ce qui n’a rien de surprenant, s’agissant d’une remise en question d’habitudes ancestrales, le secret médical existant depuis l’antiquité. Vraiment ? En réalité, le cantonnement des informations médicales et des informations sociales relève de la fiction juridique, en particulier en matière de pathologie psychiatrique, mentale ou comportementale, où le partage est indispensable.
Je tire de mes interventions deux autres constats :
D’abord, les professionnels de santé pensent parfois que le « secret médical » se distingue du « secret professionnel ». Il est difficile de trouver un fondement à cette distinction. Le secret médical est à la fois déontologique et juridique. Sa violation peut engendrer des sanctions disciplinaires et pénales. De toute manière, il est éminemment professionnel, en ce qu’il est attaché à la profession de médecin qui y est astreint indépendamment de la qualité de son employeur.
Ensuite, et là est peut-être l’essentiel, les médecins peinent souvent à accepter l’idée que leur secret s’efface devant des intérêts qui lui sont supérieurs, comme la protection de l’enfance ou l’assistance à personne en péril. En 2013, la Cour de cassation a confirmé la condamnation de médecins hospitaliers restés silencieux devant une grave manifestation de maltraitance institutionnelle. Mais peut-on les blâmer pour autant ? L’article R.4127-4 du Code de la santé publique dispose dans son second alinéa que « Le secret couvre tout ce qui est venu à la connaissance du médecin dans l'exercice de sa profession, c'est-à-dire non seulement ce qui lui a été confié, mais aussi ce qu'il a vu, entendu ou compris ». La relative mansuétude dont les juges ont longtemps fait preuve en matière de silence devant des situations qui auraient justifié la levée du secret tend à s’effacer. L’article 226-14 du Code pénal autorise le signalement dans diverses situations visant directement les professionnels de santé et non plus seulement les médecins. La législation relative à la protection de l’enfance oblige à informer ou signaler. La non-assistance à personne en péril, visée à l’article 223-6 du Code pénal, pourrait elle aussi connaître une inflexion de la jurisprudence, l’affaire du copilote de la Germanwings, qui avait précipité un avion contre une montagne, est aussi de nature à faire bouger les lignes, quand bien même concernerait-elle une compagnie allemande.
Si les médecins, notamment en milieu hospitalier, sont très au fait et très attachés à leur secret médical, il semble qu’ils peinent parfois à admettre la nécessité de partager certaines informations avec d’autres professionnels, mais surtout, qu’ils rechignent encore parfois à s’affranchir de ce secret, non par obstination ou par principe, mais par crainte de sanctions disciplinaires ou judiciaires, ou simplement par habitude ou ignorance du cadre légal. En certaines matières, auxquelles pourraient s’ajouter demain les formes ultimes de la radicalisation, c’est l’excès de silence qui pourrait les mettre sur la sellette.